32°C est la température diurne limite que les forêts tropicales peuvent supporter

Les forêts tropicales sont confrontées à un avenir incertain en raison du changement climatique. Un nouvel article, publié dans Science le 21 mai, suggère que ces forêts pourraient continuer à constituer un réservoir majeur de carbone dans un monde plus chaud, à condition que les pays limitent leurs émissions de gaz à effet de serre, afin de ne pas dépasser une température diurne de 32°C. Cette étude, coordonnée par l’Université de Leeds, a mobilisé une équipe internationale de 225 chercheurs, dont 4 du Cirad.

Les forêts tropicales stockent actuellement l’équivalent d’un quart de siècle d’émission de dioxyde de carbone. Or, le réchauffement climatique risque de réduire ce stock si la croissance des arbres diminue ou si le taux de mortalité des arbres augmente, accélérant par la même occasion le changement climatique. L’équipe de recherche internationale qui publie cette étude a mesuré plus d'un demi-million d'arbres dans 813 forêts tropicales du monde entier . L’objectif était d'évaluer la quantité de carbone stockée par ces forêts, qui poussent dans des conditions climatiques différentes et évolutives. Les résultats ont révélé que les forêts tropicales continuent actuellement de constituer un réservoir majeur de carbone, malgré l’élévation des températures. Toutefois, « il ressort qu’aujourd’hui le stock de carbone contenu dans ces forêts reste stable jusqu’à une température diurne seuil de 32°C. Au-delà de ce seuil, ce stock diminue très fortement » , souligne Bruno Hérault, co-auteur de l’étude, et spécialiste des forêts tropicales dans l’unité Forêts & Sociétés au Cirad.

Une limite à 32 degrés, qui risque d’être dépassée pour un grand nombre de forêts tropicales

L’objectif actuel des « 2°C maximum », prôné par les accords internationaux sur le climat, reviendrait à dépasser ces 32 degrés pour un grand nombre de forêts tropicales. « Si nous limitons les températures moyennes mondiales à une augmentation de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels, cela pousse près des trois quarts des forêts tropicales au-dessus du seuil de température que nous avons identifié , indique ainsi Martin Sullivan, l’auteur principal de la publication, chercheur à l'Université de Leeds et à l'Université métropolitaine de Manchester. Toute nouvelle augmentation de la température entraînera des pertes rapides de carbone forestier en zone tropicale. »

Le danger, si une telle limite est dépassée , serait que les forêts deviennent, à leur tour, émettrices de carbone . En effet, une hausse trop forte des températures diminuerait fortement la productivité de la forêt tout en augmentant le taux de mortalité des arbres, or, lorsque la quantité de carbone gagnée par la croissance des arbres est inférieure à celle perdue par la mortalité, les forêts se mettent à libérer plus de dioxyde de carbone qu’elles n’en absorbent. Martin Sullivan souligne ainsi que « chaque degré d'augmentation de la température libérerait 51 milliards de tonnes de CO2 des forêts tropicales dans l'atmosphère ».

Ces résultats viennent corroborer des travaux régionaux précédemment menés par les équipes du Cirad en Guyane française, le plus grand massif forestier tropical d’Europe*. En effet, « sur le massif forestier du plateau des Guyanes, la température est également apparue comme le facteur déterminant de l’évolution du fonctionnement des forêts, avec une possible baisse de 40 % de la productivité moyenne de ces forêts dans les scénarios climatiques tendanciels » , précise Bruno Hérault.

La recherche collaborative, une clé pour résoudre les grands défis environnementaux de la planète

Pour calculer l'évolution du stockage du carbone, plus d’un demi-million d’arbres de 10 000 espèces différentes ont été mesurés, et ce dans 24 pays tropicaux. L'équipe mondiale de 225 chercheurs a ainsi mis en commun les observations réalisées sur le terrain en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie depuis plusieurs décennies . Ces données, acquises sur des parcelles souvent éloignées de plusieurs jours des infrastructures humaines, sont à la fois le fruit d’un dévouement extrême des équipes de terrain qui travaillent dans des conditions très rudimentaires et d’un support sur le long terme par les institutions de recherche en charge de ses dispositifs.

« Au Cirad, le dispositif de terrain de Paracou en Guyane Française a été mobilisé dans cette étude. Sur ce site, plus de 70000 arbres sont mesurés régulièrement depuis le début des années 1980, fournissant un précieux jeu de données pour comprendre les changements opérant dans les forêts tropicales sous l’effet des pressions anthropiques » , souligne Géraldine Derroire, chercheure au Cirad au sein de l’UMR Ecologie des Forêts de Guyane.

Pour les co-auteurs : « Cette étude souligne tout l’intérêt des collaborations à long terme en matière de recherche. Elles sont essentielles pour comprendre et anticiper les effets du changement environnemental sur le fonctionnement de la planète. Face aux enjeux climatiques du XXIème siècle, les scientifiques doivent plus que jamais travailler ensemble, car la surveillance de la santé des grandes forêts tropicales de notre planète est vitale pour nous tous ».

Référence

Long-term thermal sensitivity of Earth’s tropical forests, Science (DOI: 10.1126/science.aaw7578)

* Aubry-Kientz, M., Rossi, V., Cornu, G. et al. Temperature rising would slow down tropical forest dynamic in the Guiana Shield. Sci Rep 9, 10235 (2019).

Publiée : 26/05/2020