À quoi pensent les plantes ?

Dans son ouvrage qui vient de paraître aux Editions Odile Jacob À quoi pensent les plantes ?, Jacques Tassin, chercheur dans l'unité Forêts et Sociétés, questionne l’intériorité végétale et la dévoile : les plantes communiquent tous azimuts avec le vivant. Mais ici, il nous emmène sur un chemin où science, philosophie et poésie se conjuguent pour mieux révéler les réalités intimes des plantes. Lisez, votre regard sur les plantes va s’en trouver ébranlé.

Drôle de titre pour un ouvrage scientifique ! Laisseriez-vous entendre que les plantes pensent ?

Jacques Tassin : Ce titre est métaphorique. En réalité, il manque aux plantes un cerveau pour penser ! Ce qui ne les empêche pas d’être sensibles, interactives avec leur environnement et de proposer d’autres émerveillements qu’une ressemblance avec nous-mêmes. Il s’agissait à mes yeux, en écrivant ce livre, d’approcher l’intériorité végétale, de soulever un peu le voile, de saisir ce qu’est une plante autant qu’il nous est possible. Les matériaux que j’ai utilisés sont scientifiques. Mais les éclairages que j’apporte sont multiples. La philosophie, la littérature et la poésie sont des voies complémentaires d’entendement. Des écrivains comme Bernardin de Saint-Pierre, Maeterlinck ou Pierre Gascar en ont davantage dit sur l’ontologie des plantes que bien des ouvrages de botanique. 

Dans votre livre, vous parlez beaucoup de zoocentrisme, cette manière qu’a l’homme de penser la plante comme on pense l’animal. Expliquez-nous.

J. T. : Nous envisageons spontanément le végétal à l’image de l’animal. C’est dans notre nature. Avec les études récentes sur le comportement animal, s’estompent de plus en plus  les frontières entre l’homme et l’animal.  Nous sommes tentés de projeter sur les plantes ce que nous découvrons des animaux, leur sensibilité, leur intelligence, leur capacité d’empathie. Mais nous partons alors en quête de ressemblances entre les règnes du vivant, au détriment de dissemblances pourtant merveilleuses. En somme, nous pensons le végétal comme nous voudrions qu’il soit, tel que nous le rêvons. Pas étonnant que nous ne sachions toujours pas ce qu’est vraiment une plante. Pour cela, il s’agirait plutôt de se « phytocentrer », si je puis dire.

Puisqu'il faut se détacher de ce zoocentrisme, faut-il abandonner l’idée que les plantes s’alertent mutuellement d’un danger ?

J. T. : Elles le font, mais de manière non délibérée. On joue sur les mots en parlant de communication végétale. On connaît certes aujourd’hui un bon millier de substances volatiles produites par les plantes dans le cas d’attaques d’insectes. Ce sont assurément de très grandes messagères. Mais les feuilles malmenées par un prédateur s’adressent aux autres feuilles de la même plante. Certes, le procédé profite aux plantes voisines, mais ce n’est pas là le fruit d’une intention. Quel avantage évolutif les plantes tireraient-elles d’être altruistes ? Le vivant est opportuniste, c’est tout. 

Qu’est- ce qui vous fascine le plus chez les plantes ?

J. T. : Je pense à leur capacité de concilier les contraires : à être une et plusieurs à la fois, à être massive et fluide, à vivre et mourir en même temps. Un arbre se désindividualise au cours du temps, se dissout dans une fédération de bourgeons, se prolonge dans d’autres arbres via les réseaux mycéliens, multiplie les symbioses pour faciliter son accès à ses ressources nutritives. On ne sait plus tout à fait où il commence et où il s’arrête, ni qui est qui. La question du soi végétal désarçonne. Plus globalement, c’est cet « extériorisme » de la plante qui me fascine. La plante se déploie, étend ses surfaces et se ramifie, puise la lumière et réagit à la course des astres, se prolonge dans l’environnement et le façonne, tire souvent parti d’autres êtres vivants pour suppléer à des fonctions lui faisant défaut, etc. En tant qu’animal, je me sens vraiment tout petit à côté d’une plante… Elle a une manière merveilleuse d’être au monde, riche de fluidité, de porosité. Le philosophe Michael Marder dit d’elle qu’elle est « cosmocentrée ». C’est vraiment bien vu.

On comprend mieux pourquoi vous avez cédé à l’irrésistible tentation de raconter les plantes…

J. T. : Oui. Comme écologue, j’ai longtemps étudié les mécanismes ou les relations qui opèrent entre les plantes et leur environnement. À force de les prendre comme objets d’études, je me suis demandé ce qu’elles étaient comme sujets. En somme, j’ai voulu forcer le regard, examiner si on ne pouvait pas savoir, ne serait-ce qu’un peu, ce qu’est leur ontologie, leur manière d’être au monde. Les plantes ne pensent pas, mais elles ont mille manières de nous émerveiller et de nous amener à représenter autrement le vivant.

Interview réalisée par Marie Adell

Publiée : 02/11/2016