Quand une expertise conduite par quelques chercheurs se traduit par le classement d'une réserve naturelle au patrimoine de l'Unesco

Le conte de Noël est donc devenu réalité. C'est ce que nous raconte Régis Peltier, coréalisateur de cette expertise et chercheur senior de l'unité Forêts et Sociétés. Ainsi conclue-t-il : "ceci doit encourager les chercheurs à ne pas seulement considérer les missions d’expertise comme des actions « alimentaires » mais comme l’aboutissement de leurs travaux."

Noël pointe son nez au bout de ce mois de décembre 2021 où il tombe plus de variants du coronavirus que de flocons de neige.

Les chercheurs sont de grands enfants, c’est bien connu. Ils en ont gardé la curiosité, la naïveté, la capacité d’émerveillement, de rêve et d’espoir.

Alors pourquoi ne pas leur raconter un conte dans lequel il y aurait des cervidés (faute de rennes), des flocons de neige (mais aussi des vents salés et brûlants), des méchants destructeurs de la nature et de gentils pères Noël qui viennent sauver un petit coin de paradis terrestre, aux pieds du château en ruine d’une princesse endormie depuis mille et une nuits ?

Allons, tentons l’expérience.

Tout d’abord le conte :

" Il était une fois, dans une immense plaine désertique, balayée l'hiver par un vent sibérien glacial et l'été par des tornades brulantes et poussiéreuses, un fleuve qui coulait des neiges de l'immense Himalaya vers une mer douce et bleue. On appelait ce fleuve Amou Darya, d’autres disaient Amour Darya. Sur les rives du fleuve s'était développée, depuis la haute antiquité, une des plus anciennes civilisations qui empruntait au fleuve-Dieu un peu de son eau pour irriguer ses jardins et abreuver hommes et bêtes. Ce peuple respectait le fleuve qui alimentait leur mer nourricière, mais également ses rives boisées où vivait tout un riche et unique écosystème. Parmi les animaux sauvages qui vivaient dans la forêt de trembles, oliviers de Bohême, saules et réglissiers, le cerf de Bactriane était le plus grand herbivore et le Tigre de l'Amour son prédateur attitré. Dans une anse du fleuve, aux pieds d’une montagne rouge, s’élevait le château de terre et de bois de peupliers dit du Jampik Kala où vivaient une princesse et ses serviteurs.

Or vint le XXème siècle et sa folie de guerres mondiales, d'intensification et de spécialisation. Dans son palais du bord de la Moskova, un méchant moustachu du nom de Josef décida que cette région devrait produire du coton irrigué pour tout son immense empire appelé Uéressesse et ses alliés. Toute l'eau du fleuve fut ainsi pompée, la mer s’assécha et les forêts furent pour la plupart défrichées. La princesse tomba dans un sommeil profond, ses serviteurs partirent à la guerre et le château s’effondra. Des forêts, il ne resta que de minuscules lambeaux le long du fleuve à moitié desséché où ne survivaient que quelques lièvres, faisans et chacals. De gentils écologues, sortes de lutins facétieux, y réintroduisirent des biches et des cerfs qui avaient survécu dans les vallées de la montagne. Sous leur protection attentive, les cervidés s'y développèrent en paix et ils eurent beaucoup d’enfants. Ceux-ci gambadaient gaiement dans la forêt et les steppes, broutant par-ci, par-là, une pousse de tendre peuplier ou la craquante feuille d’une salicorne. Point de méchant tigre pour les dévorer ni de chasseurs pour les rôtir. Tant et si bien qu’ils eurent bientôt dévoré toutes leurs forêts et qu’il fallut alors aller crier famine chez les paysans, leurs voisins. Mais le fermier n’est pas prêteur, c’est là son moindre défaut. « Que faisiez-vous au temps chaud ? dirent-ils à ces emprunteurs. — Nuit et jour à tout venant nous broutions, ne vous déplaise. Vous broutiez ? J’en suis fort aise, Eh bien dansez maintenant ! » 

Les pauvres petits faons allaient mourir de faim et de froid. Mais un vieux monsieur, conseiller du nouveau prince qui avait succédé aux héritiers du méchant Joseph, se souvint que, dans ses lointains voyages dans la mystérieuse Afrique, il avait croisé des savants chenus qui avaient inventé un élixir pour réconcilier et faire vivre en harmonie les belles antilopes, les puissants baobabs et les gentils paysans, sur les rives des fleuves Niger et Zambèze. Dans leurs pays et royaumes d’origine, où on ne buvait que du vin et de la bière, ces magiciens étaient appelés du nom mystérieux de Ciradiens. Le conseiller leur envoya une missive portée par un très gros pigeon voyageur, car il devait également transporter en cadeau un petit sac d’or, dénommé Source Propre, car ramassé dans le sable d’une onde pure et re-source propre quand il fallait en ajouter un peu, ce qui était souvent le cas. N’écoutant que l’appel de leur devoir, ces savants se mirent en route, qui à dos de chameau, qui dans des boutres ou des tapis volants de la Turkish Carpet. A leur arrivée, le sultan leur fit boire un élixir local appelé Vodka et le mystérieux plat de Shashlik. Cela leur donna une force surhumaine qui leur permit de galoper à travers la brousse, de comprendre le langage des cerfs, des arbres, arbrisseaux et herbages… et même des paysans qui buvaient le même élixir qu’eux.

Réunis autour d’un feu, aux pieds du château effondré de la Princesse-à-la-steppe-dormante, ils firent un grand conciliabule au cours duquel, force élixir et mystérieux Shashlik furent consommés.

À l’aube, ils rendirent visite au vieux sage de la montagne et leur livrèrent le fruit de leur réflexion. Pour que les cerfs puissent retrouver une belle forêt protectrice et nourricière, il fallait qu’une partie du troupeau fasse ses adieux et aille peupler d’autres forêts, tout le long du fleuve et même au-delà. Un riche et puissant seigneur des pays du soleil couchant, dénommé Unesco leur assurerait les moyens de voyager et d’être protégés dans leurs nouvelles patries d’accueil. « Mais gare, leur a-t-il dit, si vous continuez à folâtrer et à vous reproduire comme des petits lapins, il faudra faire revenir le méchant tigre (le mal nommé Tigre de l’Amour) ou le perfide chasseur, pour vous dévorer !!! »

À ces mots, nos cervidés promirent d’être sages, de ne plus « Dégrader l’écosystème ni produire de gaz à effet de serre », ce qui, dans ce pays, est une formule magique pour calmer la colère de M. Unesco.

On entendit alors, juste au-dessus du campement, un grand bâillement et la princesse enfin réveillée se montra à une fenêtre du château, en disant dans sa langue : « eh bien, je crois qu’il va y avoir des travaux de rénovation ! »

Bon, les enfants et ceux qui leurs ressemblent sont maintenant endormis.

Pour les indécrottables sérieux, les faits ont déjà été exposés en partie dans une actualité de l’UR F&S de février 2021 :

https://ur-forets-societes.cirad.fr/actualites/estimation-de-la-population-de-cerfs-et-de-son-impact-dans-un-ecosysteme-forestier-d-ouzbekistan

La nouveauté, c’est que, le 6 octobre 2021, nous avons reçu le message suivant de Mme Elena Kan de l’ONG Krass à Urgench :

“ Dear Regis, Valery and Daniel,

Yes, the LABR got his Unesco Biosphere Reserve status, and your work certainly contributed to the successful nomination. We've had a small partners' meeting in Tashkent last week, and raised a toast to all partners who contributed to the success. “

Bref, notre expertise, bien loin de notre “zone de confort” avait débouché sur une avancée longtemps espérée, en vue d’une meilleure gestion et protection de la réserve. Ceci doit encourager les chercheurs à ne pas seulement considérer les missions d’expertise comme des actions « alimentaires » mais comme l’aboutissement de leurs travaux, surtout lorsqu’ils auront la chance d’aboutir soit à une décision positive, soit à éviter une action négative. Ils doivent également comprendre que, dans les limites du raisonnable, les méthodes mises au point dans un certain environnement éco-socio-économique peuvent être valorisées sous d’autres cieux.

Bonne fêtes de fin d’année.

Pour lire le conte, contacter Régis Peltier.

Pour les aspects cartographiques, voir Daniel Cesaro, Valery Gond et Julie Betbeder.

Pour le comptage des cervidés (et si vous voulez un rôti pour Noël) : voir Daniel Cornelis.

Publiée : 14/12/2021