Grande Muraille Verte : Quel retour ?

L'unité de recherche Forêts et Sociétés livre un regard critique sur une opération jouissant d'un regain d'intérêt de la part des bâilleurs de fonds, mais dont il n'est pas certain que tous les acquis, s'agissant des réussites comme des déboires rencontrés, soient véritablement pris en compte aujourd'hui .

Le « One Planet Summit pour la biodiversité» qui s’est tenu à Paris le 11 janvier 2021 a réuni des chefs d’états, des ministres, ONG, etc. de nombreux pays.

Parmi les grands projets envisagés, on voit renaître de ses cendres la « Grande Muraille Verte (GMV)» du Sahel. Il s’agit d’une idée apparue en 2005, portée principalement par deux pays situés à chacune des extrémités de cette « muraille », à savoir le Sénégal et l’Ethiopie. Pays par ailleurs plutôt plus stables et plus prospères que le chapelet d’état situés entre eux deux.

Pour simplifier, il s’agissait, au départ, sur une bande de 7500 km de long et de 15 km de large, reliant l’Atlantique à la Mer Rouge, d’implanter une mosaïque d’arbres (en plantations pures ou en agroforesterie), de régénérer des pâturages dégradés et de restaurer la fertilité des terres agricoles.

De nombreux projets de ce type ont vu le jour sur la périphérie du Sahara, depuis les années 1930 jusqu’à nos jours.  Plusieurs anciens du Cirad ont participé au Barrage Vert algérien (stages dans les années 1970) et aux derniers jours de l’opération Sahel Vert, relayée par les grands projets de reboisement de la Banque Mondiale, en particulier  au Nord-Cameroun en 1982-1986. Malheureusement ces grands projets ont  montré que ces reboisements forcés, sans concertation avec les acteurs locaux, étaient voués à l’échec et constituaient un gâchis économique, social et écologique, dans la mesure où ils ne respectaient ni les droits des populations sur l’usage de la terre ni la végétation naturelle. De plus, ils ne prenaient pas en compte les savoirs, les besoins et les possibilités des usagers.

L’idée de GMV a aujourd’hui évolué et concerne maintenant 11 pays du pourtour saharien. Elle a pour ambition de transformer la vie de 100 millions d’habitants, de créer dix millions d’emplois verts et de piéger 250 millions de tonnes de Carbone, à l’horizon 2030.

Même si un rapport signale qu’en septembre 2020 seulement 4% des objectifs finaux prévus ont été atteints, avec 4 Mha plantés, par rapport aux 100 Mha prévus pour 2030, cela n’a pas empêché les donateurs d’annoncer une nouvelle « pluie de milliards de dollars » pour les années à venir.

Les Ciradiens travaillant au Sahel ne peuvent que se réjouir du retour d’intérêt des politiques et des donateurs pour cette zone. Cependant, il est de leur devoir de proposer une approche la plus efficace possible, c’est-à-dire une approche avant tout sociale et participative. En effet, les objectifs de stockage de carbone et de limitation d'avancée du désert sont écologiquement justifiés mais ils ne pourront être atteints sans prendre en compte les recommandations suivantes.

La prise en compte des usages ou des biens que peuvent tirer directement les populations des espèces utilisées reste une condition essentielle pour avoir une large adhésion des agriculteurs. Ceci implique aussi de tenir non seulement compte d'expériences passées, comme d'anciens projets de reboisements, de planification de la récolte de bois-énergie et d’amélioration du pastoralisme, mais aussi des pratiques locales paysannes qui sont souvent basées sur la régénération naturelle assistée (RNA) des espèces plus adaptées aux conditions locales.

Le choix des zones à reboiser constitue aussi un facteur à ne pas négliger. Même s'il s'agit d'un projet de reboisement régional, les actions ou activités doivent être pensées à l'échelle du paysage ou du terroir.

La concertation avec les populations sur le choix des espèces et des techniques utilisées est une condition essentielle de succès de projet de reboisement

Penser à l'échelle des terroirs une restauration des terres agricoles, des forêts et des pâturages, en utilisant la RNA et le reboisement avec des espèces utiles et adaptées, trouver les mécanismes pour subventionner les actions paysannes, pastorales et de groupes, permettrait, très certainement, d'avoir des résultats beaucoup plus acceptables et surtout sur le long terme. En effet, une fois les arbres plantés, ce sont les populations qui prendront soin des arbres pendant les décennies à venir ; elles doivent donc y trouver leurs intérêts, c’est-à-dire améliorer de façon significative leurs conditions de vie, par ailleurs très difficiles.

Le Cirad se tient prêt à contribuer à relever ces défis.

Amah Akodewou et l’équipe de l’UR Forêts et Sociétés

Publiée : 12/01/2021